Extrait de l’entretien avec Pierre Buraglio, réalisé à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris, par deux étudiantes de l’École du Louvre(EDL), dans son atelier les 27-28 janvier 1997 à l’occasion de la restauration de l’Assemblage de Gauloises bleues des collections du Musée d’art de Toulon.
Pierre Buraglio:
À l’occasion de mon exposition au Musée d’Art Moderne du Centre Georges Pompidou de 1982 à 1983, exposition où l’on avait présenté trois grandes Gauloises bleues (sur les quatrel exposées Galerie Jean Fournier en 1978, j’ai, dans ce catalogue fait un petit texte à la fois descriptif et opératoire […] Vous savez, cela s’inscrit dans le mode de sentir les choses de ma génération qui se voulait être le moins lyrique possible. À la fois, je dis comment c’est fait, ce qu’il y a à voir mais aussi je décris le processus de production lui-même […) Oui a écrit précisément sur les Gauloises… Il n’y a pas eu de texte en particulier. Mais si vous fouillez un peu les auteurs, aussi bien dans ce catalogue du MNAM, Yves Michaud et Alfred Pacquement y font référence et par la suite d’autres auteurs, Ce n’est vraiment pas grand chose et en même temps c’est un moment fort. Je crois que les gens s’en rappellent parce que ce travail n’est pas assimilable au Nouveau Réalisme, C’est un tout autre esprit… Il n’y a aucune intention sociologique. On est ici dans le pur effet de peinture, alors que par ailleurs, comme citoyen, j’ai toujours été très mobilisé, Ce n’est absolument pas un discours sur la consommation. Concept vaseux ! Je continue de le penser: la sociétè de consommation et toutes ces choses-là.,. Non ! Et en même temps vous pouvez – c’est intéressant – le dècrypter sous x angles différents. Mon intention était de produire une sorte de poème bleu indépendamment de moi-même. Il n’y a qu’à se baisser pour trouver et ramasser de la Couleur, Cette couleur a un statut particulier dans l’histoire de la peinture occidentale. Ouand j’insiste sur le mot occidental, ça n’est évidemment pas par esprit de supériorité, mais parce que ce sont effectivement mes références. Ce bleu, vous savez bien, il va de Giotto à Hantaï en passant par Matisse. Il n’y avait qu’à se baisser pour ramasser cette couleur qui était dans le monde […] c’est-à-dire la rue, la chaussée, les bas-côtés de la route, Alors évidemment se posait la question: Ce sont des paquets de Gauloises et ce ne sont pas des paquets d’autres marques. Est-ce subjectif ou objectif? Il me semble qu’il y a une certaine objectivité… Ces
paquets de Gauloises ont quelque chose d’assez universel par leurs proportions, leur graphie, leur àge aussi parce que cette graphie remonte loin, juste après la guerre. Il y a quelque chose d’universel qui se confond avec mon vécu et avec la société contemporaine. Juste un exemple récent où je crois retrouver cela avec les portières de 2 CV Citroën. La 2 CV a quelque chose d’universel, qui échappe au design… Avec ce paquet… vous ne pouvez pas faire un assemblage de Palmoro.
in nombre de travaux… À la fois, nous faisons des choses extrêmement légères, fragiles… mais à la différence d’une toile montée sur châssis peinte à l’huile ce qui reste la chose la plus simple à transporter, indépassable dans sa simplicité, alors la vie se complique… Le recours à des matériaux pauvres, fragiles, la volonté de restituer la concomitance de fabrication avec celui qui regarde. tout cela entraîne vers son contraire.
EDL: Dans nDtre cas, le service de restauration n’a pas trop envie que l’ceuvre soit ensuite mise dans une boîte? PB: On peut faire l’hypothèse qu’un Conservateur s’intéresse à moi et ait envie « de sortir » mon travail. Par conséquent, pour qu’il ait envie de l’accrocher, il faut que ça ne lui pose pas trop de problèmes. Évidemment, il ne faut pas le rouler. C’est à eux, restaurateur et conservateur, de faire en sorte que cela puisse se montrer sans être abîmé.
EDL: Il me semble que pour l’instant, ils préféreraient un accrochage intermittent, c’est-à-dire de laisser l’ceuvre telle quelle, l’accrocher sur un simple panneau blanc mais ne la présenter que quelques semaines par an.
PB: Oui. Je vous ai dit que les bleus résistent bien à la lumière mais si les gens le tripotent, etc, etc, alors…
Mardi 28 janvier
EDL: J’aimerais que nous revenions à la citation de Marx que vous avez évoquée la dernière fois… « La procédure
compte autant que le résultat »… La procédure, c’est aussi le geste.
PB: Oui, c’est ça…Plus exactement le procès de production.
EDL: Alors il y a une contradiction entre cette phrase et le fait qu’en enlevant le scotch pendant la restauration on efface le geste en quelque sorte.
PB: Tout à fait, il y a contradiction. On peut me prendr en contradiction par rapport à quoi? Par rapport au positions d’un jeune homme à positions radicales, maximalistes, certainement incontournables pour faire, quelque chose…
EDL: Mais surtout, pour celui qui regarde une oeuvre d’art, le geste peut devenir important et quelque par symbolique et vous ne pensez pas que votre ceuvre va être amputée de quelque chose si on ne laisse pas ur peu de ce geste?
PB: Il vous semble qu’elle perd de son intégrité du fait du procédé de restauration qui est envisagé, à savoir qu’il est sur une sorte de mousseline…. C’est ce qui avait été décidé, il me semble…?
EDL: Oui, mais les restaurateurs parlaient aussi de travailler par bandes. Donc, s’ils font des bandes qui quadrillent l’arrière de l’ceuvre, on retrouve alors un peu ce geste. Par contre, s’ils prennent juste un seul morceau de mousseline aux dimensions de l’ceuvre, là le geste est complètement effacé. PB: Ça c’est sûr que la procédure la plus proche de l’ceuvre, qui serait celle, disons, d’un corps blessé qu’on va « réparer» mais sans faire de chirurgie esthétique, ça serait des bandes toilées, désacidifiées lesquelles reprendraient le même geste que la pose des scotch. Actuellement je réunis des paquets avec des agrafes de bureau.
EDL: Alors il sera encore plus fluide.
PB: Oui, et il sera moins grand et j’ai prévu un cadre de métal,… Vous avez raison… il y a toujours à discuter sur la nature d’une restauration pour être au plus près des gestes originaux… Il est vrai que le geste juste est de travailler en bandes… Cela dit, il ne faut pas être buté, ni rien sacralisé! (…)
À la relecture de cet entretien, j’ajouterais simplement ces mots que Charles Mingus lin Moins qu’un chien’) adressait à un autre musicien (Fats Navarro): Ta trompette n’a jamais raconté de mensonges à ton sujet ».