AGRAFAGES, CAMOUFLAGES

Texte PB

Á l’origine, des toiles peintes en 1964-1965, qui, condamnées, furent découpées en triangles irréguliers, ceux-ci systématiquement assemblés (par interpénétration), agrafés comme ça venait…, au sol, le plus généralement en rectangles irréguliers. D’abord montés sur châssis, puis dans la logique même de leur fabrication présentés flottants. Sur les premiers Agrafages, je réintervenais : remplissant ou sertissant les triangles; par la suite, les laissais tels. Toutefois, pour resserrer, densifier l’espace, je colorais quelques triangles qui, répartis en semis, quadrillent la surface; ou alignais verticalement des triangles de ton plus soutenu.

in catalogue Buraglio, Centre Georges Pompidou, 1982.

Texte Pierre Wat
[…] Une même logique opère dans les Camouflages qui sont conçus entre 1966 et 1968, parallèlement aux agrafages, comme si le travail de biffage, entrepris avec les Recouvrements, devait, de façon plus explicite encore, s’attaquer à cette gigantesque mémoire que constitue l’histoire de L’art, jusqu’à épuisement du sujet. Là où, précédemment, le recouvrement, pour être efficace, devait oblitérer la plus grande part du support. C’est désormais dans la dialectique du montrer et du cacher; en donnant à voir ce qu’il veut recouvrir, qu’il parvient à l’oblitérer.

Extrait de : Buraglio/Pierre Wat, éditions Flammarion.

[…] Concevoir la pratique de peindre comme le champ ou peut s’exhiber notre non-liberté. En effet, c’est sur le fond anonyme et contraignant de la peinture, de la façon la moins spontanée, que le peintre développe son discours. Consciemment critique. Travail qui se limite à n’être qu’un écart, permanente référence aux peintures qui le sous-tendent; aux peintres qui depuis Cézanne s’interrogent sur le langage de la peinture; l’épuisent.

Il faut admettre cette peinture comme indication. Discours muet, et cependant indicatif. La production de ces surfaces est une critique en acte. La peinture met son objet à l’épreuve, en se mettant à l’épreuve de son objet. Critique et autocritique. Ces surfaces précèdent comme critique réelle, matérie/le ce texte (qui toutefois en accélère le processus). Vision d’une illisibilité manifeste, laissée anonyme. Illisibilité lisible comme telle. Cette vision: c’est la saisie immédiate et globale de ces superficies (180 x 200) qui restent surfaces et font écran. C’est un fait que ces surfaces (camouflage et blanc) juxtaposées, pour celui qui les regarde, ne disent rien. C’est un fait que le peintre ne dit quoi que ce soit, mais en le disant, en le répétant-ce qui n’est pas se taire, ce qui n’est pas s’abstenir-au contraire. . Se taire; pour faire parler. L’exercice de la peinture prise comme son sujet est le champ dans lequel l’opérateur de ces surfaces agit, consume (a consumé) les ressources dont il dispose. Il est bel et bien bloqué. Doit répéter, paraphraser, citer. Il s’agit de montrer qu’une telle peinture bute sur le mur qu’elle s’est dressée.
Il est temps d’arrêter.

in catalogue : Buraglio : Écrans 1964-1976, ARC 2, Paris.

Texte : Itzhak GOLDBERG

Faite à partir d’anciennes toiles condamnées et détournées de leur fonction originelle, Agrafage 1966, s’Înscrit dans un contexte particulier. L’ceuvre, présentée la même année au musée de Céret, se trouve aux côtés des travaux d’un Buren, d’un Parmentier ou d’un Viallat. Ces morceaux découpés, assemblés et agrafés, ces chutes qui imposent à l’artiste leur matérialité ou leur coloration font songer au processus de déconstruction pratiqué par les autres exposants. Ainsi, même si Buraglio ne participe pas activement aux groupes auxquels l’histoire de l’art accorde ultérieurement « l’appellation contrôlée » d’avant-garde, il est clair qu’il partage les préoccupations de ceux qui deviendront bientôt BMPT ou Support/Surface.
Cette réflexion commune passe en revue tous les constituants physiques du tableau de chevalet -toiles, cadre, châssis- afin de démystifier l’objet artistique, en montrant le processus de sa fabrication. L’activité picturale est ainsi envisagée dans sa réalité la plus élémentaire et les ceuvres, réduites à leurs simples composants (support, couleur, texture), tendent à un « degré zéro » de la peinture.
Admettre le rôle historique de cette toile de Buraglio, « réhabiliter » son apport à la reproduction esthétique de la fin des années 60, souvent passé sous silence, reste toutefois une opération qui comporte un risque majeur. De fait, l’ceuvre devient ainsi un document, une illustration parmi d’autres d’une période où l’intense débat théorique étouffe parfois la création plastique.
Si Agrafage échappe à ce destin, c’est qu’à l’encontre de ses confrères, son auteur refuse de s’enfermer dans un système, de considérer sa production comme la démonstration d’une pratique artistique qui prend des accents ascétiques. Face aux austères « empreintes » de Viallat répétées inlassablement, face aux châssis dénudés de Dezeuze, l’essaim des polygones irréguliers, semblables et différents à la fois, la gamme chromatique riche de tonalités qui alternent avec des surfaces argenture forment chez Buraglio un réseau multicolore posé sur un « fond » plus stable. La tension que dégage ce contraste entre les couleurs vives et les zones plus neutres se retrouve dans le rythme saccadé des modules triangulaires qui envahissent l’espace entier de la toile sans laisser aucune zone disponible. Amassées les unes sur les autres, des formes « zigzagantes » virent brusquement dans des directions opposées, sans un schéma explicite, un « pattern » déterminé ou un axe bien défini. Empilées dans une densité presque étouffante, ce trop plein de structures géométriques qui entrent en collision, se chevauchent et s’interpénètrent, produit un dynamisme chaotique, une cadence basée sur des consonances. Tout laisse à penser qu’il ne faut pas moins que des agrafes pour empêcher le débordement de cette constellation inconnue et imprévisible. Peut.être, Buraglio a-t-il inventé ici une tendance non répertoriée encore, que l’on nommera prudemment Support/Surface version baroque?

Itzhak GOLDBERG

Ce texte porte sur « un des premiers Agrafagesnotamment reproduit dans le catalogue du Musée National d’Art Moderne (Centre Georges Pompidou) 1982.

In catalogue, CRAC Alsace. 1998